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Autour du vent
Séjour à Alger
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à Samira Negrouche
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« Fraîches nuits d’été.
Fenêtres ouvertes.
Lampes Allumées. »
Raymond Carver,La vitesse foudroyante du passé.
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« Notre quête de liberté est noble et grande.
Et tout aussi étonnant est de savoir
Que nous sommes, plus ou moins,
Les créateurs de l’avenir. »
Ben Okri, Combat mental.
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Bientôt Alger
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« J’ai baissé la tête
et j’ai vidé mes yeux »
Abdallah Zrika, Bougies noires.
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J’ai lu quelques livres dernièrement
Et relu quelques véridiques pages
Cela m’a fait du bien
Relire du Camus du Carver aussi
J’en avais grand besoin
Mais le cœur cependant n’y est pas
Il y a les soucis et ils sont nombreux
Cora et sa mère l’appartement à vendre
Le passeport de Sonia
Un aller-retour pour l’Algérie
Tout ça m'embouteille tout ça me retient
Si je pars et si Sonia reste ici
Cela va mal finir cela est accablant
Partir sans elle c’est partir tout seul
C’est perdre de vue le nécessaire
Ne pas même voir la sortie du corridor
Et je ne peux plus abdiquer
Partir sans elle c’est peut-être un peu
Partir sans moi
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Loin de Sonia tout semble tellement espacé
Ces jours derniers je suis comme
Un étranger dans ma propre langue
Et ma langue c’est aussi c’est surtout
Mon pays d’origine
À la mairie à la préfecture
On se moque de nous de tout
Il y a plus d’un mois maintenant
Que l’on attend avec Sonia
Déjà plus d’un mois
Et si Sonia ne venait pas avec moi
Et si elle n’était pas à mes côtés dans Alger
Je suis là je suis las la colère ne monte pas
Les mots sont muets les gorges bouchées
Et les larmes au bord des yeux
Plus rien à dire plus rien à faire
À vivre désormais
Le monde pourtant a les jours tranquilles
Les lèvres nues les cuisses serrées
L’attente est un cauchemar sans nom
Et la nuit trop lente jusqu’à l’aube
Me taire oui me taire sur le champ
Sans faire d’histoire et sans pardon
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La nécessaire peur
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« Peur du téléphone qui sonne au milieu de la nuit. »
Raymond Carver, Là où les eaux se mêlent.
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J’ai dit toutes les lumières et la beauté
D’un second passage à Alger
J’ai dit le bleu de la mer au petit jour
L’horizon calme les collines grisées
J’ai dit encore cette quiétude absolue cette si grande clarté
Mais j’ai dit peur simplement banalement
Peur de mener ma barque en solitaire
Peur d’agir en méconnaissance de cause
Peur d’oublier l’ordinaire le principal peur
De ne pas braver tous les interdits
Peur enfin peur à chaque instant
De ne rien faire ne rien dire de ne pas continuer
Peur de ne pas pouvoir te satisfaire
Peur d’étrangler sans rien tenter nos émotions
Peur de ne plus vraiment savoir partager ni même aimer
Peur tellement de toi de moi de tous
Peur de ne plus nous reconnaître
De ne plus deviner dans la tasse le café
Peur des jours et des nuits sans conséquence
Peur de l’ennui qui bat les tempes
Peur de la chose morte en moi
Peur aux portes du sud un peu avant le mois d’août
Peur de tous les mauvais contes et du grand méchant loup
Peur des soucis de la peur de l’existence tant brimée
Peur oui de la peur qui monte qui gronde
Peur des entreprises glacées peur du monde en somme
Alors relire Carver relire Là où les eaux se mêlent
Poèmes petits ou longs narratifs en tout cas
Alors relire Camus pour ses noces et son retour à Tipasa
Alors relire pour ne plus jamais avoir peur
Mais peur pourtant peur panique
D’être grimpé dans l’avion sans Sonia
Peur dans Alger ma ville blanche et bleue
Peur maintenant de la mer de me noyer
Peur de mes pensées les plus nues
Peur de la mélancolie la plus noire
Peur de ma si « mauvaise réputation »
Et de conserver exagérément mon impassibilité
Peur de définitivement me taire face à l’ennemi de toujours
Peur de ne pas réagir assez souvent assez tôt
Peur d’avoir également les nerfs en pelote
Peur d’avoir les yeux brouillés peur
D’avoir soudain peur de toi de moi de nous
Peur de me faire choper à mon âge quand je vole un livre
Peur pour conjurer le sort comme pour ouvrir le bal
Comme pour ouvrir aussi les bras au ciel
Peur à la hâte à double vitesse sur un coin de table de cuisine
Peur parce que les mots sont inoffensifs et ignorants
Peur la rage au cœur la fièvre au sang
Peur des trèfles à quatre feuilles peur du ghetto parfois
Peur peur peur d’en finir aujourd’hui avec la vie
Peur de la plaie qui suinte de la pluie du beau temps
Peur devant ma voix brûlée mon sexe fatigué
Peur du soleil de la lumière malgré tout
Peur du froid du chaud peur de chaque jour
Peur d’avoir tant attendu en vain
Peur à m’en rompre le cou
Peur
Peur peur…
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Actualiste
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« La moitié de vos chances s’évanouissant ainsi, passons
à vos autres sauveurs possibles. »
Albert Simonin, Le Savoir-Vivre chez les Truands.
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J’en ai écrit des poèmes et quelques proses aussi
J’ai commencé tout ça très tôt
Et très tôt j’ai alterné un lyrisme de circonstance
Avec les banalités les plus plates
— Pourquoi ? Simplement parce que comme beaucoup
Je suis double il y a deux identités chez moi
La française ou l’italienne la riche et la pauvre
Puis il y a ce vieux complexe de l’autodidacte
Ce doute toujours présent toujours enfoui jamais défait
Mais je sais lire et écrire comprendre et écouter
J’en ai écrit des choses sans importance
Et cependant je ne suis pas plus mauvais qu’un autre
Avec les ans j’ai appris à me comporter dignement
Dernièrement à Alger où nous étions parmi d’autres invités
À l’occasion d’un festival de poésie en hommage
Au poète Djamal Amrani dont les vers dorénavant nous manquent
J’ai eu d’étranges visions et réalisé quelques découvertes
Les poètes de ces temps sont des lâches ou des imbéciles
Certains dont je ne peux dire les noms méritent le bâton
Papy D. le vieux cabot m’a désagréablement surpris
Pour lui aucun charme car tout est presque nul pour lui
De l’aigreur plus que tout de l’amertume sans doute
Ensuite il y a Jean-Claude l’Affreux le dandy mondain
Surtout le très mauvais poète avec sa tenue post-coloniale
Quelle horreur ses paroles dans le bus pour Sidi Fredj
Mais je n’oublie pas non plus Mimi le Timide ou Mimi le Grincheux
Qui n’aime ni la musique ni les chauffeurs de bus algériens
Lui aussi m’a déçu mais ce n’est encore pas le pire
Il y a les seconds couteaux peut-être pas les moins dangereux
Sympathiques par moments à d’autres plutôt fayots extrêmes
Hamid le Berbère Momo la Langue Liliane l’Homme du Monde
J’ai vu ces gens-là à l’œuvre en lécheurs de culs forcément polis
Il y a six mois d'ailleurs je n’aurais pas osé tout dire
Donc dire des choses légères et méchantes à leur sujet
J’étais poète certes mais point autant actualiste
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Là-bas nous avons avec Marc Dimitri Julio Jean-Michel
Su diffuser l’ensemble de nos meilleures pensées
C’était début juin à Alger et déjà le bel été
Heureusement là-bas j’ai entendu
Quelques voix fortes et authentiques
Cette fois je les nommerai sans honte aucune
Yanis Yfantis Hassan Taleb Katerina Anghelaki-Rooke
Abdelmajid Kaouah Jabbar Yassin Hussin
Giuseppe Goffredo Giovanni Dettori Patrizia Cavalli
Et si je n’ai rien dit de Pierre-Yves le Malin et de Salah le Libanais
C’est qu’il n’y a rien à dire ou à redire sur eux
Malheureux poètes aux gestes méconnaissables
Tout le monde n’a pas forcément de la classe
Le clin d’œil facile voire ajusté et la main libre
Pour certains c’est la quête inévitable du pouvoir
De la reconnaissance
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Ce soir en écrivant je songe à Serge l’Aguicheur
L’ami croisé par hasard dans les ruines de Tipasa
Et avec qui j’ai touché du doigt la stèle d’Albert Camus
Je songe aux poèmes lus et maintes fois relus
De Kateb Yacine Jean Sénac Djamal Amrani
Je songe pareillement à Samira Negrouche
Samira la Bonne Gosse Samira la Belle Plume
Dont les mots déjà dansent sous les yeux
Jeune très jeune encore et merveilleuse auteure
Dont les mots sont le rythme le souffle même du poème
Samira enfin la tendre annonce de l’aube
Nous y sommes en effet de ce côté-là de la barrière
Nous y sommes debout vivants actualistes !
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Là-bas j’ai rêvé les yeux ouverts le cœur tranquille les bras offerts
Les bras tendus j’ai rêvé comme je rêve parfois de mon Italie
Pays où je me retrouve en fait juste derrière chez moi
C’est un peu ça la poésie un autre monde un autre temps
D’ailleurs je m’égare en ce moment je me perds littéralement
Ce qui m’a le plus manqué à Alger eh bien c’est Sonia
Mais je ne désespère pas de retourner avec elle là-bas
Là-bas il y a toute une affiche et une aurore débutante
Voilà j’ai tout dit je crois j’arrête d’écrire et je me noie
J’aurais parfaitement pu rester muet ou innocent
Cela toutefois n’était pas inscrit dans l’air du temps
Dans le sens du combat voire du mouvement
J’aurais pu j’aurais pu mais la vérité est une promesse
Et je ne pouvais pas me taire plus longtemps
J’en ai écrit des poèmes et quelques proses aussi
J’ai commencé tout cela fort tôt.
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Saint-Fons, le 29 juin 2006
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À présent
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« La nuit, pour moi, c’était la confusion dans laquelle je me débattais.
Cette confusion a pris fin. »
Charles Juliet, D’une rive à l’autre.
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Au fond c’est vrai j’écris relativement peu
Mais j’ai pourtant le sentiment profond
D’être toujours en train d’écrire
D’être le plus souvent attentif sur le qui-vive
De guetter le moindre murmure et le plus faible écho
Je suis ainsi le monde bouge et je change moi-même
C’est un fait et depuis Lénine chacun le sait
Les faits sont têtus !
Je bouge et je me bouge je ne reste pas en place
Il me faudrait la joie et le bonheur à dispenser
Les poètes entre eux ne s’aiment pas beaucoup
Ils ne se causent pas ou bien alors très peu
Et quand ils s’entendent ils ne s’écoutent pas
Tous ces mots toutes ces paroles
(Et dans tant de langues si différentes
Mais à la fois si singulières)
M’encombrent la tête
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Tout est encore dans le monde
Entre les bras tantôt largement dépliés du monde
Et tantôt fermement verrouillés
Tout est donc dans tout
Et le vrai est un moment du faux
Un moment du faux
Tipasa moi j’ai adoré ça
Mais je ne sais pas trop comment
Je vais pouvoir commencer à commenter ou raconter
Mon dernier séjour à Alger en des termes intelligibles et récents
Au fond tout est toujours assez nouveau pour moi
Et mes ouvrages désormais sont de l’histoire ancienne
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Saint-Julien-Molin-Molette, le 1er août
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Une vie plus tard
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« Mais lorsque je lui dis
qu’il est de ces heureux à avoir vu l’aurore
sur les plus belles îles de la terre,
au souvenir il sourit et répond que le soleil
se levait sur un jour qui pour eux était vieux. »
Cesare Pavese, Travailler fatigue.
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Aussi loin que je remonte dans le temps
Je croise des sourires amicaux et des regards bienveillants
Bien qu’étant d’un milieu plutôt modeste
J’ai eu une enfance et une vie heureuses après tout
J’ai flâné j’ai erré et je me suis dispersé
Chez nous « au quartier » à cette époque aucune
Supercherie et pas non plus de distinctions raciales
Uniquement des êtres à part entière
Ce que j’ai enduré c’est seulement le mal que je me suis fait
Et mes échappées existentielles n’ont concerné que moi-même
Puis il y eut l’Algérie
Terre promise portée par le puissant souffle de la jeunesse
L’Algérie jolie terre d’amour ayant cessé d’être lointaine
Grâce aux compagnons de rue aux camarades de jeu
Garçons et filles
Dans l’amitié virile comme dans le transport amoureux
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L’Algérie la fascination du mystère
L’enchantement simple et la pensée de midi
L’Algérie j’en savourais les arômes j’en humais les parfums
Et j’en entrevoyais les sables et les palmeraies
Les aurores et les soleils couchants
Mais c’est encore le souvenir grossier d’un Arabe
Se perdant dans l’ondulation d’une dune
Le chant chantait alors la joie ruisselante
Mais ce fut surtout la mer la mer au plus près
Berceau de mon cœur patrie pour moi sans dieu
Terre offerte à tous les assauts et à tous les ravissements
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J’ai aimé ce pays que j’aime encore aujourd’hui
Une vie plus tard
Je l’ai aimé dressé rebelle herculéen et digne
Pourtant je l’ai cru malade à plusieurs reprises
L’Algérie
Le sirocco maintenant les fenêtres closes
L’après-midi sans hâte dans les ruelles sombres
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Désormais le scrupule s’installe
Jusqu’à se frayer un passage sous un soleil de plomb
Et je n’ignore plus où se tiennent les secrets les mieux gardés
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Ventimiglia, le 11 août
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THIERRY RENARD
Inédits
Richard G . d’ AVANT LA LETTRE
( C’était prémonitoire … Hé ! Hé ! )
est un épistolier qui s’ignore,
il voyage beaucoup et a une écriture
extrêmement belle et argumentée.
Il nous rapporte des images à tomber
évanoui(e)s par terre ( surtout les
filles à la peau pâle…) et il prétend
qu’il n’aime pas écrire des cartes postales.
Nos Vendanges Poétiques 2007 lui sont
donc ouvertes en priorité, il m’a promis
quelques timbres d’ailleurs…
«à défaut d’éloquence»
( Chanterait Alain Bashung… )...
sur les cartes postales auxquelles
tous et toutes pouvez répondre
selon votre inspiration d’art postal.
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Adresse du Site AVANT LA LETTRE
http://richardg.blogs.com/avantlalettre/